« Madame la présidente, monsieur le juge, monsieur le greffier. C’est un plaisir de vous revoir. Messieurs et mesdames les jurés, bonjour. Je suis Marie, la fameuse, j’ai 21 ans, je viens de Léognan et je fais mes études à Bordeaux. Pour la 8ème fois, je suis convoquée ici, dans votre magnifique tribunal, dans l’attente d’un potentiel jugement. Pour être franche, je ne comprends pas trop l’incompréhension que vous portez à mon dossier. Dans cette société, les moeurs ne cessent d’évoluer, et pourtant, je ne suis toujours pas acceptée. C’est toujours la même chanson. Je reste là, sur le banc de la touche, mon destin entre vos mains. Ah oui, pour ceux qui n’étaient pas présents aux procès précédents, apparemment, mon comportement est illégal. Je me nourri d’humains. D’hommes, de femmes, d’enfants parfois. Il parait que je suis cannibale.
Mon dernier repas avait 40 ans. Quand je l’ai rencontrée, il n’en avait que 37. Le bac en poche, j’étais à la recherche de la filière parfaite. Après de nombreuses recherches, j’ai découvert le dut MMI. Savez-vous ce que cela fait, à 17 ans, lorsque l’on est refusé, rejeté, humilié alors qu’on cherche simplement un sens à sa vie ? Une fois, passe encore, mais 3 fois ? C’est trop. Alors, pendant 4 ans, j’ai élaboré un plan parfait. Chaque année, j’ai postulé, pour être acceptée dans l’IUT. Sans succès. Mon objectif ? Retrouver celle qui a fait de ma vie un enfer, et, la manger. Journalisme, droit, licence d’anglais, j’aurais pu continuer encore des années. Mais, en 2018, alors que Parcoursup ouvre ses portes, je monte un dossier solide, avec les expériences cumulées au cours des années passées, et montre une motivation d’acharnée. Après 3 refus, 3 ans passés à construire ma revanche, ça y est, je décroche un entretien. Deux mois plus tard, le grand jour arrive. Je me lève, me prépare et de toute façon, comme à mon habitude, je mise tout sur mon sourire et mes dents pointues. Le GPS indique 1 rue Jacques Elul. Je descends de la voiture, monte les quelques marches de l’IUT, passe les portes, et, pour avoir mon heure de passage, me dirige dans le bureau de Quentin Bessière. Tu vas passer la première, attends dans le couloir, elles vont te recevoir, me dit-il. L’adrénaline monte, mais je suis gonflée à bloc, à deux doigts de la victoire. La porte s’ouvre. Je la vois, assise, la même chevelure blonde qu’il y a 3 ans, alors que Martine Bonnerie m’accueille chaleureusement. Je les salue. Après de nombreuses questions, la tension monte. Mais pourquoi on devrait te prendre toi et pas quelqu’un d’autre ? Pourquoi toi ? C’en est trop, après 10 minutes d’entretien et de questions précises sur mes années postbac, je suis épuisée, mon imagination est à cours d’argument. Je craque et fonds en larmes. Martine finit l’entretien par un jeu de carte. Après avoir fermé la porte, je m’en veux. Ma vengeance ne se fera donc t-elle jamais ? Je n’avais qu’une envie, planter mes crocs dans sa chair, et goûter au délicieux parfum de la revanche. Les semaines passent, et alors que je fais rissoler la bonne cuisse de Georges aux petits oignons, je reçois un mail. Je suis prise en MMI, ENFIN. Les vacances d’été passées, c’est la rentrée ! Cette fois-ci, je vais pouvoir assouvir ma soif de vengeance avec une bonne flûte de sang. J’arrive devant ces portes qui me sont maintenant familières, entre en 255, et m’assoit à côté d’un garçon, grand, que j’aurais bien métamorphosé en entrecôte, mais Nathan me semblait gentil. Alors je ne l’ai pas mangé. Et là, qui je vois entrer dans la salle, les lunettes sur la tête, dans un tailleur noir ? Marlène Dulaurant. Ma future lasagne à la bolognaise. Après 4 heures de présentation, quelques instants en tête à dents ont suffit pour que ma revanche soit enfin terminée. Et laissez-moi vous dire que le sud-ouest, ça a du goût.
Alors oui, on m’accuse d’un meurtre prémédité, d’anthropophagie. Mais il n’en est rien. J’aime juste le bon goût de la chair humaine. Qui, ici a déjà goûté un bon mollet ? Une côte ? Même pas une oreille ? Personne. Alors comment pouvez vous me juger si on ne part pas sur des bases solides et équitables ? Si vous voulez, monsieur le juge, j’ai de nombreuses recettes à vous partager. Epaule d’Annie aux petits légumes. Cuisse de Juliette aux cèpes. Talon d’Achille aux herbes de Provence. Non ? Aucune ? Roh. Vous avez tord ! En plus vous avez une petite mine, et un humain est très nutritif ! Saviez-vous qu’un bras a un valeur nutritive de 1800 calories ? Et tenez vous bien ! Un corps entier compte plus de 80 000 calories ! Moins qu’un ours, mais l’équivalent de plus de 450 boîtes de 4 nuggets chez MacDo. Alléchant n’est-ce pas ?
Et puis rassurez-vous. Je ne mange pas n’importe qui. Je procède à une sélection stratégique qui part du cancéreux de la chambre 34 du CHU, monsieur Gérard était succulent, quoiqu’un peut rassis. Jusqu’au petit Hugo, de 6ème D, grand voyou des cours de récré, qui passait son temps à insulter les filles et taper les garçons. Alors, je l’ai mangé. Accompagné d’une bonne ratatouille, je l’ai haché menu. Il déversait beaucoup de sang, sûrement dû à son jeune âge, mais en smoothie au petit déjeuner, tout est bon dans un vilain petit Hugo !
Grâce à moi, fini les hôpitaux plein à craquer, fini le manspreeding, fini les gens qui ne mettent pas leur clignotant dans un rond point. Tenez, je pourrai même vous aider, à vider les prisons pour mieux les remplir vous n’êtes pas d’accord monsieur le juge ?
Oh mais ne faites pas ces têtes. Je ne vais pas vous manger haha. Quoique. Mais non je plaisaaante ! Et puis c’est pas si grave. Je mange que les humains. Tous les autres êtres vivants, je ne les touche pas. Ah oui je ne l’ai pas précisé en me présentant, mais je suis vegan. J’aime bien trop les animaux pour les manger. Ils sont presque tous mignons. Et adorables. Et beaucoup sont bien plus civilisés que nous. D’ailleurs on ne lui dit rien à lui, le lion, qui mange la gazelle ! Alors que ce sont tous les deux des mammifères. Et à vous autres, humains, qui mangez des tonnes de viandes par an, responsables du désastre écologique que l’on vit tous. Qui va vous faire procès à vous, criminels de l’humanité ??
Mais Marie, c’est pas humain de manger les humains m’a dit ma mère. Alors je l’ai mangé. Mais non, je n’ai pas mangé ma mère, elle a toujours respecté mon régime alimentaire, et je l’aime ma maman. Alors quoi, nos actions définissent qui l’on est ? Nos choix doivent être constamment jugés, justifiés, par des gens qui ne nous connaissent même pas ? Je suis avant tout citoyenne. La France, je l’aime. J’aime aussi les gens, j’avoue j’en aime un peu trop certains. Mais je n’ai jamais gaspillé un gramme de chair humaine. J’ai toujours fait de la cuisine qui leur rendait hommage, comme me l’ont appris les Amérindiens. Je ne « tue » pas par plaisir, mais par survie. Et il n’y a rien de plus humain que de manger son prochain.
Accusez-moi une nouvelle fois si l’envie vous chante, monsieur le Juge, mais en France, vous savez très bien que l’anthropologie n’est pas sanctionnable. Moralement, vous trouvez ça inenvisageable, alors légalement vous n’avez rien prévu pour me punir… Donc je vous le demande, rendez moi ma liberté. Laissez moi être le bras droit de la justice, et punir ceux qui fautent. Laissez moi être le bras gauche de la nature, et je régulerai l’espèce humaine. Sinon, ce sont vos bras qui finiront dans ma casserole. Merci, et à la prochaine. »
Concours d’éloquence, MMI Bordeaux 2020.