« *de dos, je me retourne*
Ah ! Vous êtes sûrs ? C’est le moment ? C’est mon moment ? C’est à mon tour ? *Inspiration profonde*. Depuis vingt-deux ans maintenant, et oui, elle ne se fait plus toute jeune ma cliente, j’entends, à qui le tour ? C’est à qui le tour ? Sans jamais que ce soit au mien. J’en ai vu passer des chimères lui tourner autour, la séduire, l’envouter, et même parfois, la manipuler. Et oui, mesdames, messieurs, j’ose le dire. Je dénonce. Je pointe du doigt, et comme le dirait le grand Emile Zola, j’accuse !. Certains de mes confrères ont abusé d’elle. L’ont menée en bateau. Guidée droit dans les bras de Morphée avant de lui planter des couteaux dans le dos. Alors, le jour de gloire est arrivé. Il est venu le temps des libertés. Je suis le rêve numéro 37 de mademoiselle Goursaud, probablement son dernier, et vous n’aurez d’autre choix que de m’exaucer.
Non. Je ne rêve pas d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Moi, rêve numéro 37, je rêve d’une banque… Non plus. Messieurs et mesdames les magistrats de la grande cour des rêves. Ecoutez bien. Moi, rêve numéro 37, je ne briserai pas le coeur de ma cliente, comme mon confrère le 16. Oui, vous, qui lui avez fait croire pendant des semaines, que dis-je des années, qu’elle allait un jour épouser son seul et unique vrai amour de jeunesse, monsieur Harry Styles. Ou bien vous, rêve numéro 3, assassin des nourrissons, qui ne lui faisait voir que la vie en rose, alors qu’on le sait tous ici, vous n’êtes que le fruit d’un traumatisme d’une tragédie romantique causé par monsieur ce rêve bleu. Trèves de bavardages. Vos échecs me dépassent, et je refuse d’être le roi de cette cours de rêves brisés. Avant de vous lever le voile sur ma venue, je vais vous parler théorie. Selon sa propre maxime, Freud a dit “Le rêve expose les faits tels que j’aurais souhaité qu’ils se fussent passés ; son contenu est accomplissement d’un désir, son motif un désir après complète interprétation, tout rêve se révèle comme l’accomplissement d’un désir ”. Sans vouloir faire une colloque sur ces dires, mon but ici, est de vous rappeler que nous, rêves d’une vie, soupçons de magie de quotidiens moroses, sommes l’essence-même du désir puissant qui pousse nos humains dans leur plus grandes ambitions, dans leur plus grandes folies, et parfois même, dans leur plus grands péchés. Rêve d’une nuit ou d’une vie, chacun d’entre nous à un pouvoir grandiose entre nos mains sur l’être humain qui nous ait confié. Il est temps pour vous de plonger dans le vif du sujet. De mon sujet.
Je suis LE rêve qui causera la mort de tous les rêves qui attendent depuis des années que leur tour arrive. Je vais, au travers du corps de mon cobaye éradiquer une espèce de nuisibles bien trop présente dans nos vies. Je ne parle pas des cafards, blattes orientales ou encore des acariens de cuisine, que ma chère humaine connait bien. Non, je vous parle de ceux qui ne parlent pas le même langage de nous. Ceux qui n’ont aucune dignité. Ceux qui prolifèrent au parc de la souris aux grandes oreilles, Monsieur Berdah, je ne sais pas comment vous faites pour adorer ce parc. Le fruit d’un acte qui vous conduit pas à pas, durant 9 mois, à un enfer éternel. Oui, je vous parle des, enfants.
Ne me regardez pas avec ces yeux de merlans frits, et ne me faites surtout pas croire que vous A D O R E Z les enfants. La liste de leurs défauts est tellement longue que je ne sais même pas par où commencer. Ah si, c’est bon, je sais. Ces mioches sont de véritables colporteurs de microbes. Rougeole, varicelle, coqueluche, rubéole, scarlatine, oreillons, POUX ? Même les souris et les claviers de la salle Mac sont moins nocifs pour la santé. Pour ceux qui n’ont pas la référence, poser la main sur ces supports, c’est une chance sur deux d’attraper Ebola.
Deuxièmement, ces froids hivernaux, qui entrainent chez les petits humains un écoulement intempestif et totalement répugnant de litres de morve. Alors que le petit Benjamin court vers sa grande cousine Marie les bras ballottant, les mains pleines de terre et la goute au nez pour lui dire bonjour, cet excrément nasal vient délicatement se poser sur la joue désormais gluante de ma pauvre humaine. « Câaaaaaalin cousine » C’était sans compter l’odeur nauséabonde qu’il dégage après sa partie de cache-cache où il se cache toujours dans les cachettes les plus nulles et s’excite jusqu’à l’inondation de son t-shirt désormais plein de bave. Oh ça va mesdames les magistrats, je vous vois désapprouver mes arguments. Mais je vous vois aussi faire exprès de ne pas trouver votre enfant non pas pour lui faire plaisir. Ah ça non, mais bien évidemment pour une tranquillité assurée pendant quelques minutes.
Donc, attendez, les mômes, c’est sale, malade, ça pue, qu’est-ce que j’aurais bien pu oublier ? * LONG SILENCE* Hahahaha, évidemment. Vous avez entendu ? Ce silence ? Mot qui n’existe plus en leur présence. Et oui, ça crie, ça fait des caprices, et gagna gagna et gneugneugneu. Petite anecdote, l’autre jour, Zara Home, pendant les soldes, une gosse baragouine dans son langage de mouflet à sa mère l’envie très exagérée de je ne sais encore quoi, ce à quoi réagit au tac au tac l’une des amies de mon humaine. Grosso modo, ça faisait « Ouinnnnn hbedjn » / « ET GNGNGNGGN ». Vanina, ne cessez jamais votre combat… Et puis, c’en est assez des hurlements dans les transports, des sanglots au rayon Kinder Pingoui, et des braillements au MacDo parce que le jouet Happy Meal n’était pas à la hauteur. Le Macdo sérieux, ils n’ont aucun respect pour les lieux de culte.
Je vous vois un peu perplexes. Certains vont me dire mais enfin 37, c’est illégal, tu vas la mettre en prison Marie ! Le sacrifice d’une âme charitable pour la paix sur terre, ce n’est pas discutable. Et d’autres, vont penser logistique, un sujet beaucoup plus sexy. Comment tuer TOUS les enfants de cette terre ? Alors, après avoir longuement réfléchi, j’ai pensé à un plan. Ils n’aiment pas le jouet de leur Happy Meal ? Mais quel dommmmmage ! Ils aimeront encore moins le goût amer du poison présent dans leurs petites nuggets ! Ne vous inquiétez pas, garanti sans douleur, sans huile de palme et efficace instantanément. Et pour vos adultes qui le choisissait encore, ils n’y auront plus accès. Un Happy Meal interdit au plus de 10 ans. Ne me remerciez pas. Vous remercierez Marie lorsqu’elle enlèvera cette épine du pied de notre planète. Fini les pieds écrasés par une poucette plus grande qu’un appartement parisien dans le tram. Fini les et pourquoi le ciel il est bleu et le bleu c’est bleuuuu ? Fini les réveils à 7h le dimanche matin. Messieurs et Mesdames les magistrats, je sais que certains parmi vous ont eux-mêmes des enfants. Mais je vous sais convaincus. Avant de vous tirer ma révérence, laissez moi vous dire ces quelques mots de William Claude Dukenfield “Les enfants je les aime – bien cuits”. »
Concours d’éloquence MMI Bordeaux 2020.